Il y a 22 ans, la catastrophe d’AZF frappe la ville de Toulouse

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Un monstre industriel au cœur de la tragédie

Pour comprendre cette tragédie il faut remonter début des années 1900. A cette époque, le Chili exportait vers la France chaque année plus de 100 millions de francs de nitrate. Se pose la question de la rentabilité d’une usine de fabrication de nitrate. Décision est prise de fabriquer une usine dans la région de Toulouse. Celle-ci ouvre en 1927 et deviendra rapidement un fleuron de la production de nitrate en devenant le premier producteur et exportateur mondial.

L’usine avant l’explosion -DDM / BORDAS

Fin des années 1900, deux acteurs pétrolier clés, TotalFina et Elf décident de fusionner à l’amiable au cours d’un duel boursier de 10 semaines entre les deux entreprises. A l’issue de cette fusion, l’usine AZF, propriété de la société Grande Paroisse, filiale d’Atofina devient donc propriété du groupe Total.

L’usine AZF, un monstre industriel au cœur de Toulouse, est un acteur clé dans la production d’engrais azotés. Cette usine, propriété de Total embauche plus de 500 personnes. Chaque jour, des tonnes de produits chimiques sont transformées en engrais, alimentant les champs de toute la France. Les cheminées crachent de la fumée, témoignage visible de l’activité incessante qui se déroule à l’intérieur de ses murs.

Autour de l’usine, des quartiers d’habitation ont progressivement vu le jour. Au début, à destination des employés de l’usine puis progressivement d’autres quartiers populaires comme le Mirail sont construits.

Un jour comme un autre

La vie bat son plein en cette fin de semaine de septembre. Les rues sont animées par les habitants qui vaquent à leurs occupations quotidiennes. Dans ce quartier, mélange de familles établies depuis des générations et de nouveaux arrivants attirés par l’effervescence de la ville tous se rappellent de ce vendredi noir comme Pauline Miranda qui habite non loin de l’usine.

Pauline Miranda, manifeste devant le palais de justice de Paris où s’ouvre le troisième procès de la catastrophe. – ARCHAMBAULT / AFP

« Ce vendredi-là, il fait beau, il y a du vent. J’en profite pour faire mes vitres. Je finis mon ménage et à 10 heures pile, je mets la clé dans la porte. J’habite en bordure de la rocade, à 200 mètres de l’usine. Je prends ma voiture et je vais au marché de la Faourette pour changer mes rideaux de cuisine. »

Dans l’usine la vie bat son plein, comme l’explique Roland Le Goff, responsable sécurité et incendie. « J’arrive au travail à la première heure. La veille, je venais de faire passer de nouvelles consignes sur le filtrage à l’entrée. Dix jours après le 11-Septembre aux Etats-Unis, on avait bien conscience qu’on était dans un établissement chimique qui pouvait être pris pour cible. Donc je me trouve au poste de garde, au niveau de l’entrée principale, pour vérifier que mes consignes sont bien observées et je les mets par écrit pour les équipes du week-end. »

Personne ne se doute que dans quelques instants, une explosion allait railler l’usine de la carte, tuer 31 personnes et en blesser plus de 2500.

10h17, une explosion dévastatrice secoue l’usine AZF, envoyant une onde de choc à travers la ville. Les bâtiments tremblent, les vitres se brisent et une colonne de fumée s’élève dans le ciel.

La colonne de fumée – BORDAS/SIPA

Pauline Miranda, sent sa voiture « se soulever » avant que sa voiture se retrouve « sur le terre-plein, je regarde dans mon rétro, le monsieur derrière moi est en sang »

Un paysage de guerre

Les témoins sont stupéfaits. Certains sont projetés au sol par la force de l’explosion. D’autres courent pour se mettre à l’abri, tandis que certains restent figés sur place, incapables de comprendre ce qui vient de se passer.

Patricia Benitah, se trouvait également en voiture « Mon fils aîné, qui se trouvait côté passager, nous évacue de la voiture. Je commence à marcher, il prend le petit dans les bras et on va chez mes parents, qui sont à côté d’AZF. Autour de nous, c’est un paysage de guerre, il y a de la poussière jaune partout, des blessés, du sang ».

Le périphérique après l’explosion – BORDAS/SIPA

Dans les heures qui suivent, le bilan commence à émerger : 31 morts, plus de 2 500 blessés et des dégâts matériels considérables. L’usine AZF, autrefois symbole de prospérité industrielle, n’est plus qu’un champ de ruines fumantes.

Roland Le Goff à l’entrée de l’usine se trouve à quelques mètres du cratère l’explosion.

« Je suis sous les décombres, dans un trou de souris. Il y a une poussière de démolition qui m’empêche de respirer, mes yeux sont collés. J’ai des douleurs partout et pendant une minute, je me demande si je suis mort ou vivant. Je pense à ma famille, à mon épouse, à mes enfants, à mes amis… Autour de moi, tous les appareils de détection des produits dangereux qu’on utilise habituellement se mettent à sonner. ».

Quelques instants après l’explosion, les secours se mettent en route vers l’usine, Christian Pizzocaro, commandant des secours se souvient, « J’envoie trois officiers mais par des itinéraires différents. Histoire de prendre le pouls de l’agglomération toulousaine et voir ce qui se passe. ». Les pompiers font face à une panne des réseaux radio et téléphoniques suite à l’explosion rendant la réception des appels du 18 compliqué. Cette panne empêche aussi les casernes de s’organiser correctement « On ne peut donner aucun ordre de partir aux casernes, et surtout pour où, et pour quoi faire. C’est le black-out complet au niveau des communications ».

Les pompiers arrivent sur place – SDIS31 / Xavier Rivière

Dans la ville, la solidarité se met en place, des habitants installent des tables avec des bouteilles d’eau sur les trottoirs le long des routes qui mènent aux hopituax et centres de soin. Dans le même temps des agents d’EDF et GDF interviennent bénévolement pour aider les sinistrés. Ils seront épaulés par des retraités venu prêter main-forte.  

Une autre dimension

Christian Pizzocaro, le directeur opérationnel du SDIS prend la route vers l’usine « Plus je m’approche du site, plus j’entre dans une autre dimension. Les étals des marchands sont renversés sur les trottoirs. La route est jonchée de gravats, de morceaux de béton ou de ferraille. Il règne un silence absolu, un silence de mort, sur des kilomètres. Ce sont des ambiances auxquelles on n’est pas habitués, là, ça dépasse tout.»

AFP / Eric Cabanis

Le pompier échange avec les employés qui tentent de fuir l’usine ravagée, et décide de prendre « la seule décision qui peut être prise : appliquer le principe de précaution et demander l’évacuation de Toulouse par zones de 500 mètres, en sachant pertinemment que ce sera très certainement sans efficacité. Néanmoins je n’ai pas le droit de ne rien faire. ».

Sur le chemin vers sa voiture Christian Pizzocaro apprends que les premières mesures des pompiers spécialisés ne font pas état de préoccupations particulières. « À partir de là, j’ai décidé d’abandonner l’évacuation partielle de Toulouse pour revenir sur l’engagement massif de secours et rentrer sur le site d’AZF. ».

Un pompier tente de passer des appels – TELECOM SANS FRONTIERES

Progressivement les secours se mettent en place et s’organisent pour venir en aide aux nombreuses victimes pour certaines encore sous les décombres ou bloquées dans leurs voitures.

Les pompiers tentent de secourir les victimes de l’explosion – ERIC CABANIS / AFP

Roland Le Goff toujours prisonnier raconte. « Je patiente pendant huit heures. Jusqu’au moment où j’entends un chien qui marque ma présence, qui signale qu’il y a quelqu’un de vivant sous les décombres. J’entends des voix. Là j’appelle, je crie ! Les collègues me reconnaissent. Ils mettent une heure à faire une trouée pour me sortir des décombres. Je vais enfin sortir de ce sarcophage de métal et de béton. J’ai des côtes cassées, mais malgré la douleur, dès que je peux tendre les bras vers l’extérieur pour qu’ils me tractent, je le fais. ».

L’entrée du site AZF – ERIC CABANIS / AFP

Des tensions politiques en toile de fond

Au moment où le champignon de fumée s’élève au-dessus d’AZF, une toile de fond politique complexe ajoute une dimension supplémentaire à la tragédie. La France est divisée politiquement, avec une cohabitation à l’Élysée entre Jacques Chirac, membre du Rassemblement pour la République (RPR), et Lionel Jospin, Premier ministre du Parti Socialiste (PS).

La catastrophe d’AZF survient à un moment critique : l’élection présidentielle de 2002 est à l’horizon, et les deux hommes politiques, Chirac et Jospin, sont en compétition pour l’Elysée. Cette course à la présidence se déroule dans un climat de rivalité exacerbée par les différences idéologiques et les conflits entre leurs partis.

Jacques Chirac et Lionel Jospin – PATRICK KOVARIK / AFP POOL / AFP

Jacques Chirac, chef de l’État, se trouve en Nouvelle-Calédonie pour un déplacement officiel au moment de l’explosion d’AZF. Informé immédiatement de la catastrophe, il décide de se rendre sur place immédiatement. Sa décision de se rendre à Toulouse en personne est également interprétée comme un moyen de montrer sa présence et son leadership dans un moment critique. À l’approche de l’élection, chaque apparition publique prend une dimension politique importante.

Le Premier ministre Lionel Jospin, également éloigné de la métropole, réagit dans l’heure en exprimant sa solidarité avec les victimes et les secours. Mais il est éclipsé par Jacques Chirac qui prend l’avantage en rentrant en France.

Jacques Chirac et Philippe Douste-Blazy, maire de Toulouse arrivent sur les lieux de l’explosion le 21 septembre 2001 – NICOLAS AUER

Lorsque le président prend la parole devant la presse à Toulouse, il exprime sa détermination à faire toute la lumière sur les causes de l’explosion. Il déclare « C’est un jour sombre pour Toulouse, et pour toute la France ». Cependant, l’absence de réponse immédiate sur les circonstances exactes de la catastrophe alimente la perplexité et les spéculations. Certains observateurs politiques suggèrent que la réponse de Chirac vise à souligner sa présence sur le terrain et à projeter une image de leadership en temps de crise, tout en laissant à son gouvernement dirigé par Jospin la charge de gérer les aspects techniques et opérationnels de la situation.

Cette tension entre les deux principaux dirigeants politiques de la France, à un moment où le pays a le plus besoin d’unité, ne passe pas inaperçue. Elle contribue à alimenter les spéculations sur les motivations politiques sous-jacentes, et elle devient l’un des éléments majeurs de l’analyse politique de l’époque.

Mais au-delà des rivalités entre les deux hommes, une autre polémique prend rapidement de l’ampleur : celle de la responsabilité de Total, propriétaire de l’usine AZF. Le géant pétrolier français est accusé de négligence en matière de sécurité industrielle et de non-respect des normes de sécurité dans l’usine.

La responsabilité de Total devient un sujet central dans l’arène politique. Alors que l’élection présidentielle approche, les candidats et les partis politiques cherchent à tirer profit de cette tragédie pour marquer des points dans la campagne électorale.

Manifestation contre Total – PASCAL PAVANI / AFP)

Certains partis d’opposition, notamment le Parti Socialiste dirigé par Lionel Jospin, critiquent ouvertement Total et soulignent les failles de sécurité observées dans l’usine. Ils accusent le gouvernement dirigé par Jacques Chirac, membre du Rassemblement pour la République (RPR), de ne pas avoir suffisamment réglementé et surveillé les entreprises comme Total, créant ainsi un climat propice aux catastrophes industrielles.

Les groupes écologistes, quant à eux, intensifient leurs appels à une réglementation plus stricte de l’industrie chimique et à la réduction de la dépendance de la France à l’égard des combustibles fossiles.

La controverse concernant Total devient ainsi un enjeu électoral majeur. Les électeurs sont de plus en plus sensibilisés à la question de la sécurité industrielle et à la responsabilité des grandes entreprises. La catastrophe devient l’un des sujets centraux de la campagne électorale et obligent les candidats à prendre position sur ces questions.

Une explosion 10 jours seulement après les attentats du 11 septembre

En raison de la proximité temporelle entre la catastrophe de Toulouse et les attentats du 11 septembre à New York, diverses théories émergent dès les premières minutes suivant l’explosion.

L’une des théories les plus répandues est celle d’un acte terroriste. En effet, dix jours seulement après les attentats terroristes de New York, l’usine AZF de Toulouse explose, provoquant ce qui est à ce moment-là la catastrophe la plus grave en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette théorie est alimentée par la découverte qu’une des victimes, Hassan Jandoubi, un Français d’origine tunisienne, porte deux pantalons et plusieurs sous-vêtements, un rituel de kamikazes islamistes.

Cependant, malgré ces spéculations et le climat de peur et d’incertitude qui règne à l’époque, les enquêtes concluent à une erreur humaine comme cause principale de l’accident. Néanmoins, ces théories du complot contribuent à alimenter le débat public et soulignent la complexité du traitement judiciaire de tels événements.

Une procédure judiciaire interminable

Il y a eu trois procès pour déterminer la responsabilité dans la catastrophe. La Cour de cassation s’est prononcée sur le pourvoi de Grande Paroisse et de l’ancien directeur du site et a envisagé un quatrième procès. La société Grande Paroisse, filiale de Total, a été condamnée à l’amende maximale de 225.000 euros et l’ancien directeur du site Serge Biechlin à 15 mois de prison avec sursis pour « homicide involontaire ».

La salle d’audience – DR

Du premier jugement, rendu en 2009 par le tribunal correctionnel de Toulouse, au renvoi de l’affaire en 2015 devant la plus haute instance juridique française, le procès de l’usine AZF n’en finit plus, repoussant toujours plus loin la définition des responsabilités. Les victimes d’AZF et leurs proches espèrent qu’il n’y aura pas de quatrième procès. « Total veut nous avoir à l’usure, faute de combattants », réagissait sur France Bleu Occitanie Armand Cassé, ex salarié et toujours secrétaire du CE d’AZF1.

Les témoignages de ce récit ont été récoltés par nos confrères de France Télévision

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