Les jeux de hasard et d’argent ont toujours existé. Pourtant, ces dernières années, internet a vu grandir son pendant numérique, les casinos en ligne. Cette pratique, bien qu’illégale en France, connaît une popularité constante et ce, depuis le premier confinement dû au Covid-19. L’une des raisons majeures de cette croissance est la publicité faite sur Twitch par les casinos en ligne par le biais des streamers. Retour sur un divertissement aux conséquences parfois dramatiques.
Le Casino en ligne en France
Le casino en ligne est illégal en France. Seul le paris sportif, hippique et le poker en ligne sont autorisés et encadrés. La loi française interdit les sites de casino en ligne sur son territoire et interdit également toute publicité faite à leur encontre. Néanmoins, il est extrêmement aisé pour une personne résidant en France de miser sur un casino en ligne, via l’utilisation d’un VPN ou encore en passant par un site miroir (copie exacte des données d’un site). De plus, une majorité des mises se fait en crypto monnaie, ce qui rend le contrôle des transactions extrêmement compliqué.
Mais de cette illégalité en découle, comme le rappelle l’Agence Nationale des Jeux (ANJ) à Nashira News, que “la triche par le casino y est possible puisqu’il n’y a aucune homologation des logiciels utilisés. Les gains sont rarement payés. Il n’y a pas d’encadrement de mises, ce qui augmente considérablement le risque de surendettement du joueur. Le vol de données personnelles est fréquent, ainsi que les escroqueries qui peuvent en découler”. Vous êtes un joueur français et vous êtes victimes de l’une de ces situations ? L’ANJ rappelle que les “joueurs ne disposent d’aucune protection légale ou de recours en justice contre les éditeurs du site en cas de litige”…
La loi “visant à démocratiser le sport”, du 2 mars 2022, est censé aider l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) à mettre en demeure les sites de casinos ainsi que les acteurs faisant de la “publicité” ou qui “diffusent les cotes et rapports proposés par un tel site”, et ce en limitant les délais de réaction des principaux concernés. Pour l’ANJ, “cette évolution législative constitue une avancée majeure dans la lutte contre l’offre illégale de jeux d’argent en France”. Selon l’agence française, elle permet désormais “d’empêcher, de manière plus rapide et plus efficace, l’accès à des sites qui présentent des risques très élevés en matière d’addiction, de fiabilité des opérations de jeu et de blanchiment d’argent”. Interrogé, l’avocat Matthieu Escande, auteur de Droit des jeux d’argents et de hasards, les mutations de l’ordre public (L’Harmattan, 2014), considère que cet article 49 “ne change quasiment rien.” Il note quelques précisions mais qui, selon lui, “sont issues de la pratique déjà actuelle de l’ANJ d’assigner à tous les fournisseurs d’accès à internet (FAI) comme free, bouygues ou orange, des adresses IP, URL qui ne peuvent plus être référencées en France. C’était l’ancien ARJEL, nouvellement ANJ, qui saisissait le tribunal en la forme des référés et les FAI étaient soumis aux décisions. Ca tape un peu plus large, mais c’est principalement de la sémantique.”
Une pratique populaire en France malgré son illégalité
Cette pratique a d’abord attiré les joueurs de casino physique. Mais une nouvelle cible, plus jeune, a été massivement visée depuis le premier confinement dû au Covid-19. Les casinos en ligne ont financé des streamers sur Twitch pour jouer en direct. La popularité de cette catégorie de stream (slots) et de ces casinos est montée en flèche, notamment dans l’Hexagone. Pour les casinos et les streamers, qui touchent parfois de très grosses sommes, cette situation est idéale. L’un produit de la pub à une grande échelle et à un public large, l’autre gagne sa vie grâce aux partenariats avec les casinos. Pourtant en étant partenaires avec les casinos, les streamers se placent dans l’illégalité vis à vis de la loi française.
Afin de continuer leur activité sur Twitch, une grande partie de ces streamers déménage dans un pays à la législation plus souple sur les casinos en ligne et possédant un taux d’imposition faible sur les crypto-monnaies. Malte est l’une des destinations réunissant ces conditions. La petite île de Méditerranée a une législation avantageuse sur la publicité faite aux casinos en ligne ainsi qu’un taux d’imposition sur les crypto-monnaies quasi nul (5% maximum) – la France les impose à hauteur de 30%.
Différentes formes d’affiliation entre le casino et le streamer
Il existe plusieurs partenariats entre casino en ligne et streamer. Le plus répandu est celui où le casino met à disposition une certaine somme au streamer. Cette somme est soumise à un plancher minimum de mise avant de pouvoir retirer, appelé Wager. Si le casino met 5000€ à disposition du streamer avec un Wager à 20, il faudra qu’il joue 20 x 5000€, soit 200 000€, avant de pouvoir retirer. Cette technique permet, d’un côté, au casino d’assurer du spectacle, la plupart du temps gratuitement car le streamer n’atteint pas la somme nécessaire pour le retrait et de l’autre, au streamer de jouer avec très peu de risque.
Une autre forme de partenariat est le revenu sur la perte des joueurs. Chaque streamer met en avant des liens qui renvoient vers des casinos en ligne. Ces liens possèdent souvent un avantage, comme une somme offerte soumise à un Wager. Bien que Twitch ait récemment interdit la diffusion de ces liens sur leurs sites, les streamers renvoient vers leur page discord où se trouvent ces mêmes liens. Les pertes des joueurs passés par ces liens seront partagées entre le casino et son partenaire (entre 20 et 50% de la perte revient au streamer). Des scandales ont permis de mettre en lumière certaines pratiques mises en place en gardant le spectateur dans l’ignorance. L’une d’elle consiste, pour le casino, à donner du faux argent aux streamers afin que celui-ci ne risque rien mais ait l’air de miser gros et de prendre beaucoup de risques.
Et la prévention dans tout ça?
Il est néanmoins important de rappeler que, selon le Centre du jeu excessif, “pour une majorité de personnes, jouer à des jeux de hasard et d’argent représente une activité divertissante et agréable parmi d’autres, sans conséquences particulières.”, mais que, “certains d’entre nous expérimentent une perte de contrôle plus ou moins progressive de leurs habitudes de jeu, avec pour conséquence des difficultés qui peuvent s’avérer très sérieuses.”. Les streamers sont-ils responsables, même en partie, de l’addiction d’une partie de leur communauté ? Peu de documentation est disponible à ce sujet. La dernière publication de l’Observatoire Français des drogues et des tendances addictives (OFDT) sur la pratique des jeux d’argents et de hasard sur internet chez les jeunes de 17 ans date de 2017 (les streams casino ont démarré leur croissance massive à partir de 2018).
La prévention est un point central pour légitimer cette pratique mais également pour la dénoncer. Sur les live, de la prévention est faite sous forme de messages affichés ou directement par le streamer qui aborde le sujet en appuyant que le casino est toujours gagnant ou en rappelant qu’il ne faut miser que sur ce qu’on est prêt à perdre (parfois les streamers semblent réciter un texte mécaniquement, s’il ne blague pas directement sur les conséquences du casino en ligne).
Néanmoins, cette prévention peut sembler anecdotique au vue de la publicité faite quotidiennement (légalement, un stream financé par un casino est une publicité, les streamers en sont le support). D’autant plus que cette mise en avant ne se fait pas uniquement sur Twitch. Démonstration de richesse sur les réseaux sociaux, voyages fastueux et habits de luxe font partie de ce marketing. Lorsqu’ils partagent sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook Snapchat, Reddit …) leurs gros gains, leurs voyages à Dubaï ou la dernière montre / sac de luxe qu’ils ont achetés, ils contribuent à entourer le casino en ligne de promesse de richesse et d’ascension. Quel poids pour une prévention qui est éclipsée par le désir d’obtenir la même vie, les mêmes gros gains ? Car au-delà de la publicité d’une pratique dangereuse, pouvant rendre addicte, et illégale sur le territoire français, ces contenus visent une population très jeune et souvent mineure. Un point important car, comme le rappelle le Centre du jeu excessif, “différentes études indiquent que les adolescents et jeunes adultes sont plus à risque (2 à 4 fois plus) de développer des problèmes de jeu.” En connaissant l’ascendant d’un influenceur sur sa communauté, à travers ses pratiques ou les produits qu’il met en avant, cette situation semble hautement problématique.
Qui est responsable ? De quoi ?
Dans cet écosystème, les responsabilités sont partagées. Evidemment, les fournisseurs de jeu et les propriétaires des casinos en ligne sont les premiers responsables dans la croissance de cette pratique. Matthieu Escande rappelle que “les addicts ils s’en occupent pas du tout dans ce genre de structure. Moi dans tous les procès que j’engage devant les opérateurs, je vois bien que ce qui compte pour eux c’est d’avoir un maximum d’addicts et un maximum de joueurs qui perdent de l’argent.”, en insistant que “gagnant ou perdant c’est un préjudice pour la société et l’Etat français.” Twitch accueille ces streams et permet à ce contenu d’avoir accès à une très grande audience, sans agir réellement (deux ou trois mesures anecdotiques – comme l’interdiction de partager les liens d’affiliation directement sur Twitch – ont été prises afin de se dédouaner de leurs responsabilités). Au bout de cette chaîne, le streamer se place comme l’exécutant de cette machine, mettant en avant (parfois sans en être conscient) ces pratiques. Finalement, leurs chaînes Twitch ne servent que de panneaux publicitaires pour les casinos en ligne.