Guerre russo-ukrainienne : deux histoires liées

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L’Ukraine et la Russie partagent un double héritage remontant au métissage des cultures slaves et byzantines. Cependant, ce pays possède une véritable conscience nationale, d’origine ancienne, et même antérieure à son appartenance à l’Empire russe. Le dynamisme de cet esprit national perdure de la Rus’ de Kiev à l’Ukraine actuelle en passant par la République populaire ukrainienne de 1919.

Au début du moyen-âge, plusieurs migrations passèrent par l’Europe de l’Est. Les Slaves notamment s’installèrent dans la moitié nord de l’actuelle Ukraine à partir du VIe siècle. À partir du VIIIe siècle, les Varègues (vikings de Suède) développèrent des routes commerciales entre la Baltique, la mer Noire et la méditerranée en remontant la Volga vers l’Empire byzantin. Ils furent ainsi amenés à fonder différents comptoirs commerciaux et villes en territoire slave. La plus célèbre de ces villes fut Novgorod signifiant « ville nouvelle » qui fut fondée à la fin du IXe siècle. Le maitre des lieux, Oleg le Sage s’empara de Kiev et en fit sa capitale en 882. Elle fut ainsi établie entre la Baltique et la vallée du Dniepr le rodslagen qui en ancien slave fut déformé en Rous’ et qui donna la Rus’ de Kiev. Ce pays était principalement peuplé de Slaves dans les campagnes tandis que les élites dirigeantes, regroupées dans les villes étaient généralement vikings. Cependant, l’entrée en contact de ces deux peuples permit une diversité culturelle importante notamment marquée par l’adoption du panthéon slave par les Scandinaves. 

La Rus’ de Kiev fut dès ses débuts axée sur le commerce, notamment avec l’Empire byzantin. Elle servit d’auxiliaire pour combattre les Bulgares, grands ennemis de l’Empire. Détruisant les peuplades du nord de la mer Noire, la Rus’ y étendit sa propre domination en fondant de nouvelles villes. Cette proximité avec Constantinople favorisa les bonnes relations et les deux nations s’influencèrent mutuellement. Avec l’influence religieuse vint l’influence institutionnelle ce qui permit à la Rus’ d’adopter la religion orthodoxe et de fonder un modèle impérial. Cependant, au fil des années, des problèmes de successions arrivèrent ce qui conduisit à un éclatement du territoire entre principautés concurrentes. La division s’accentua de génération en génération et le mode de fonctionnement de la Rus’ finit par devenir assez similaire à celui du Saint-Empire romain germanique : celui d’un ensemble féodal au sein duquel le trône de Kiev fit l’objet de luttes régulières. Inévitablement, cette situation entraîna le déclin des relations commerciales entretenues avec Constantinople. Ces temps compliqués furent encore aggravés lors de l’arrivée des mongols au XIIIe siècle. Cette invasion conduisit d’ailleurs au massacre de la moitié de la population de la Rus’. Seule la république de Novgorod devenue autonome échappa à cette dévastation. Alors que les différentes composantes de la Rus’ perdaient en importance, Novgorod entreprit de s’agrandir et de fonder un État solide et autonome. En 1328, sous l’autorité d’Ivan Ier, l’ensemble devint la grande principauté de Moscou.

Profitant de l’affaiblissement des Mongols au fil des années, le nouvel État commença alors sa longue expansion jusqu’à devenir tsarat sous Ivan le terrible (1547-1584), puis Empire sous Pierre le Grand (1682-1725). Dans le même temps, au sud-ouest, un autre État profitait de l’affaiblissement des Mongols et se taillait un empire à leurs dépens : le grand-duché de Lituanie s’étendait, dès la deuxième moitié du XIVe siècle, de la Baltique aux rivages de la mer Noire, autour de l’actuelle Odessa. En 1569, il s’unit à la Pologne au sein de la République des Deux Nations. Ainsi, la Lituanie domina les deux tiers de l’actuel territoire ukrainien jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Ces terres passèrent ensuite aux mains des Turcs ottomans avant d’être conquises par la Russie dans le dernier quart du XVIIIe siècle. A la même époque, les partages successifs de la Pologne permirent à l’Empire russe de s’étendre à la quasi-intégralité du territoire ukrainien actuel. C’est aussi à ce moment que plusieurs révoltes firent leur apparition pour la création d’un État ukrainien.

Au XIXe siècle, comme l’avait fait Louis XIV en France avec l’éradication du protestantisme, la monarchie impériale chercha à unifier la population d’un point de vue culturel. Une politique de russification et de défense de la religion orthodoxe est mise en place. En effet, les territoires ukrainiens étaient à l’époque majoritairement catholiques. Cette promotion de l’orthodoxie russe permit de renforcer la légitimité du pouvoir des tsars. Ce combat culturel fut mené de manière très dure et impliqua un changement de calendrier et d’alphabet, des fermetures d’écoles et des bouleversements juridiques.  

Après la chute de l’Empire russe pendant la révolution de 1917, l’Ukraine devint brièvement indépendante entre 1919 et 1921. La guerre entre les Russes blancs partisans du tsar et les Russes rouges bolchéviks fut remportée par ces derniers ce qui anéantit les espoirs de conserver la République populaire ukrainienne, laquelle fut intégrée au sein de l’URSS. Avec l’arrivée de Staline au pouvoir, la russification est renforcée alors même que la paysannerie ukrainienne était particulièrement réticente à la collectivisation. L’opposition des nationalistes ukrainiens fut si féroce que l’arme de la famine fut employée pour briser cette résistance lors du génocide d’Holodomor qui fit en 1932-1933 entre deux et cinq millions de victimes. Le traumatisme de ces persécutions fit voir à un bon nombre d’ukrainiens l’arrivée des Allemands en 1941 comme une libération. La reconquête de l’Ukraine par les Russes à la fin de la guerre conduisit inévitablement à de nouvelles violences et vengeances de ces derniers. Dans l’après-guerre, la détérioration de l’URSS pousse à nouveau les indépendantistes ukrainiens à manifester. Cette volonté finit par devenir réalité lorsque lors de la dislocation de l’URSS en 1991, la population de la République d’Ukraine se prononce à 92,3 % pour l’indépendance. Depuis, l’Ukraine a connu la plus longue période d’indépendance de son histoire marquée cependant par des tensions avec son voisin russe.   

L’Ukraine a ainsi pu développer ses ambitions démocratiques passant notamment par l’élection de ses représentants. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch en 2010 marque un nouveau tournent. Homme d’État pro-russe, il rejette l’association du pays avec l’Union européenne et solidifie les rapports avec le Kremlin. Cette décision provoque des manifestations de masse qui le démettent de ses fonctions de dirigeant le 22 février 2014. Moins d’un mois après cet événement, Vladimir Poutine profite de l’instabilité politique pour annexer la Crimée. Les années qui suivent voient un maintien constant de tensions entre les deux pays sans affrontements directs. Seuls des séparatistes répartis principalement dans le Donbass continuent d’affronter l’armée ukrainienne. Pendant l’année 2021, les tensions augmentent car de nombreux pays de l’ex-URSS, ou d’anciens alliés, ont rejoint l’OTAN (Estonie, Lettonie, Pologne…). En décembre 2021, le Kremlin formule même une lettre aux États-Unis dans laquelle il est demandé que l’Ukraine ne rejoigne jamais l’OTAN. Cette demande est refusée et la Russie masse son armée à la frontière ukrainienne. Après plusieurs semaines d’incertitudes, la Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022. Depuis, la résistance ukrainienne a empêché la victoire rapide voulue par Poutine. De plus, elle a permis au peuple ukrainien de s’unir davantage et de continuer à se forger un véritable esprit national. Il est certain que l’histoire ancienne qui unit ces deux pays ainsi que leurs cultures très proches ont joué dans cette décision d’invasion. Il est donc important de connaître ces éléments anciens pour comprendre au mieux la situation actuelle.

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