Nashira Sports vous raconte les coulisses de la couverture médiatique à Roland-Garros. Notre correspondant s’est entretenu avec Julien Reboullet, responsable de la rubrique tennis du journal L’Equipe, et Hadrien Hiault, chef du service audio et vidéo chez Eurosport.
La salle de presse de Roland-Garros est située sous le court Phlippe Chatrier, symboliquement placée comme une caisse de résonnance pour les exploits qui se déroulent dans le stade. En plus des télévisions vissées au mur, des écrans tactiles, positionnés à chaque emplacement sur les bureaux, permettent de regarder les matchs, de connaître les scores, les statistiques et la programmation. L’immensité de la pièce peut donner le tournis, surtout quand elle est vide. En effet, depuis le début des qualifications, ses rangs se garnissent petit à petit, d’abord par la presse française, puis internationale. Pour enfin arriver au vendredi 26 mai, fin du dernier tour de qualification et surtout arrivée des poids lourd du circuit pour ce « Media Day ». L’ambiance a changé et le coup d’envoi est donné : les têtes d’affiche défilent en salle de conférence de presse ainsi qu’en interview, dans le petit patio aménagé à cet effet au fond de la salle de presse.
Au milieu de cette fourmilière, certains se tapent dans le dos et s’esclaffent dans toutes les langues, visiblement heureux de se retrouver, comme tous les ans, pour cet événement. D’autres zones sont plus studieuses, au travail pour donner au tournoi la couverture médiatique qu’il mérite. C’est dans celles-ci que nous sommes allés à la rencontre de deux journalistes déjà très occupés. Julien Reboullet est responsable de la rubrique tennis du journal L’Equipe. Hadrien Hiault est le chef du service audio / vidéo d’Eurosport.
Deux équipes imposantes
Côté Eurosport, l’Equipe audio / vidéo présente sur place n’est évidemment pas affectée uniquement au tennis toute l’année. Mais étant donné que la chaîne diffuse ce sport pour de nombreux autres tournois, l’équipe est tout de même calibrée conséquemment : 8 journalistes se relaient toute la quinzaine, avec le présentateur vedette Bertrand Milliard et le consultant maison Arnaud di Pasquale. 8 membres, c’est l’effectif de la seule rubrique tennis chez L’Equipe à l’année, ce qui est, de l’aveu même de Julien Reboullet, énorme comparé aux autres médias traitant de ce sport. La rédaction couvre sur place les Grands Chelems (3/4 personnes), les Masters 1000 (1/2 personnes) et tous les tournois en France. Pour Roland-Garros, point culminant de l’année, tout le monde est présent et des journalistes d’autres rubriques sont même venus en renfort. Cela porte le total à 13 personnes qui se relaient Porte d’Auteuil pour couvrir l’événement. De plus, les semaines précédant le tournoi ont été mises à profit pour préparer des dossiers sur des sujets de fond, qui seront sortis au gré de l’actualité pendant la quinzaine.
Concernant l’organisation des équipes, un seul mot d’ordre : adaptabilité. Si chacun se voit affecté une liste de matchs à suivre la veille au soir, « on passe rarement la journée qu’on était censé passer« , nous avoue Julien Reboullet. Dans les deux équipes, il est courant de procéder à des ajustements en temps réel, d’abord parce que la durée d’un match de tennis est très variable. Mais aussi, par exemple, pour boucler un dossier qui colle à une actualité chaude, ou en cas d’exploit inattendu, qui va demander plus de travail à posteriori que si la hiérarchie avait été respectée. Le responsable de L’Equipe continue : « C’est le plus intéressant, d’écrire sur des joueurs qu’on connaît moins, dont on découvre le parcours en détails et qui n’est pas forcément linéaire. C’est le charme du début de Roland-Garros, d’avoir ces histoires à raconter, et ça arrive très souvent« . Et quand on lui demande s’il existe une frustration de ne jamais pouvoir assister à un match dans son intégralité, il affirme qu’elle est compensée par l’effet feu d’artifice du début de tournoi : « Les trains arrivent rarement à l’heure à Roland, c’est très rare que sur une journée, tout se passe comme prévu. Il existe un réel plaisir d’être bousculés par toutes ces surprises« .
Contenu : le web se taille la part du lion
Hadrien Hiault fait partie d’une génération de journalistes qui est née avec l’information en ligne. Il a d’ailleurs été recruté en 2010 spécifiquement pour développer ces canaux. Comme Eurosport ne possède pas les droits de diffusion pour Roland-Garros, et que ce média n’édite pas de journal papier, les moyens à disposition sont dédiés entièrement à la création de contenu pour le web. En plus des articles et des directs commentés écrits, une dizaine d’entretiens vidéo avec des acteurs du tennis, effectués par Bertrand Milliard, seront publiés. Et en tête de gondole, le podcast quotidien d’Arnaud di Pasquale, DiP Impact : 30 minutes de débats, de statistiques et d’analyse des matchs de la journée, dont les meilleurs extraits seront mis en avant en vidéo sur le site d’Eurosport.
Julien Reboullet évolue au sein de la rubrique tennis de L’Equipe depuis l’an 2000. Il a connu cette mutation qui, depuis une quinzaine d’années, a complètement chamboulé la presse écrite. Si auparavant, le rôle du journal était de raconter ce que les gens n’avaient pas vu, avec des compte-rendus de match détaillés, aujourd’hui, cela ne fait plus de sens de se cantonner à cela. Il faut aller plus loin dans la technicité. Analyser comment un joueur a gagné, avec quelles armes et décortiquer la façon les a acquises. Les sujets sociétaux ou humains prennent aussi de plus en plus de place. Pour une institution comme L’Equipe, le challenge est stimulant : « Il faut sans cesse se remettre en question, apporter de la valeur ajoutée et prévoir le, voire les coups d’après« .
Concernant la hiérarchisation des informations, tous les deux indiquent qu’il n’y a pas de barême précis, mais plutôt du bon sens et du consensus. D’autant que sur un Roland-Garros, une information peut très vite en chasser une autre. Il faut faire preuve de flexibilité. De toute manière, aujourd’hui, tout doit sortir immédiatement en format web quoi qu’il en soit, et avec des éléments de contexte s’il s’agit d’un exploit d’un joueur peu connu du grand public (par exemple, une rubrique « 5 choses à savoir sur… »). Pour L’Equipe, la question est plutôt de savoir ce qui peut être conservé jusqu’au lendemain pour le quotidien, et elle se pose de moins en moins, tant le numérique prend une place importante. Chez Eurosport, les contenus produits sont ensuite catalogués par un frontpage editor, en charge de hiérarchiser les informations sur le site. Si l’équipe donne ses indications sur l’importance de l’information, il faut parfois négocier : « Par exemple, cela arrive qu’une information, même importante, entre en conflit avec l’actualité d’un événement pour lequel la chaîne a les droits de diffusion. L’évaluation de cette hiérarchie doit donc se passer de manière transversale, par une autre équipe« , nous confie Hadrien Hiault.
La flexibilité au cœur du dispositif
Julien Reboullet concluera notre entretien par une anectode qui illustre à merveille la flexibilité que requiert le métier de journaliste. La Une de l’Equipe du mardi 23 mai était prévue sur Rafael Nadal, la veille du jour habituel de son arrivée à Paris. Mais la situation du Majorquin est trop incertaine et Julien convainc sa hiérarchie que pour que le dossier soit qualitatif, il faut aller sur place. Il contacte donc l’entourage de l’Espagnol, avec les pincettes de rigueur, pour accueillir un envoyé spécial, un des deux journalistes affectés au Masters 1000 de Rome qui effectuerait un crochet par les Baléares. Après quelques heures, on lui répond qu’il est possible de venir le jeudi 18 et qu’à date, L’Equipe est le seul média qui les a contactés pour venir observer l’entraînement du roi de la terre battue. Alors que la rédaction se frotte les mains à l’idée de réaliser un dossier exclusif sur l’état de forme de Nadal, la décision est finalement prise entre-temps, par le joueur et son staff, de déclarer forfait pour Roland-Garros. Une conférence de presse est programmée le jour où L’Equipe avait prévu de se rendre sur place. Le déplacement prévu pour une évaluation exclusive devient donc un événement où il fallait nécessairement se rendre, à l’instar de tous les autres médias internationaux. « C’est un bon exemple de dossier qui s’est bâti sur quelque chose, mais qui a abouti à autre chose. Au final on a quand même fait la Une du journal, mais pas sur le sujet prévu et beaucoup plus tôt, malheureusement pour Nadal« .