Depuis deux décennies, la crise du Darfour, à multiples facettes et à issue incertaine, est passée à l’ombre des projecteurs médiatiques. La crise, entre instabilité politique et renouveau des attaques armées, intègre un manque accru de l’aide humanitaire. La guerre russo-ukrainienne exacerbe la crise alimentaire naguère alarmante: les Nations Unies et la FAO estiment à 9,8 millions de soudanais nécessitant des missions d’assistance alimentaire.
Décrire la situation humanitaire “darfourienne” actuelle commande un panorama du conflit, de ces origines et de ces actualités.
Le conflit du Darfour
Le Darfour est une région aride de l’ouest Soudan, la plus étendue des régions de ce pays. Le Soudan est le plus vaste pays d’Afrique avec environ 490 000 km 2. Il n’est pas aisé de fixer une date et des origines exactes aux débuts des hostilités. Les sources diffèrent d’un auteur à un autre, d’une communauté ethnique à une autre. On parlerait de conflit dans des conflits pour être exact.
La date du 26 février 2003 marquant la prise de Golo est souvent relatée comme le début de la guerre « darfourienne ». Cette date est pertinente et présente tout à la fois une insuffisance avérée. En effet, la prise de Golo met au clair l’intervention d’un groupe qu’on peut qualifier de « force en présence » du conflit: le Front de libération du Darfour, plus tard, Armée de Libération du Darfour; ALS. Cependant, comme le précise Lilian Craig Harris: “depuis l’indépendance du Soudan en 1956, Khartoum n’a cessé en effet de saper le pouvoir des responsables africains traditionnels du Darfour et les systèmes de résolution des conflits”.
Entre 1987 et 1989 un premier conflit ethnique a opposé les Fours et les Arabes. Entre 1996 et 1998 un deuxième conflit a opposé cette fois-ci les Arabes et les Masalits. Les rivalités tribales entre arabes et non arabes, entre agriculteurs et pastoralistes, les canicules, le manque d’eau et de terre, ont précipité le chaos. Dans son article titré Darfour: désastre ou dilemme, Lilian Craig Harris résume la complexité des origines: “l’ensemble des problèmes que rencontre le Soudan moderne trouvent leur inscription au Darfour : tribalisme, oppression politique, analphabétisme, femmes tenues à l’écart de la politique, violence gratuite, manque d’infrastructures économiques, mauvaise gestion des ressources”.
Les principaux belligérants, en marge des forces d’interposition ou de maintien de la paix des Nations Unies et de l’Union Africaine sont principalement: les Janjawid, l’Armée de Libération du Soudan; SLA, le Mouvement pour la Justice et l’Égalité; MJE. Les Janjawid ‘’les diables à cheval’’, sont un groupement de milices arabes, acteurs de la guerre au Darfour à qui sont reprochés de nombreuses exactions, génocides et crimes de guerre. La SLA est le principal mouvement de rébellion fondé par Abdelwahid Mohamed al-Nour . Le gouvernement de Khartoum est accusé de prêter plus ou moins main forte aux Janjawid.
De nombreuses violations des droits de l’homme ont été commises par plusieurs parties prenantes à ce conflit. Le Rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations sur les situations au Burundi, au Soudan du Sud et au Vénézuela a retenu le 23 septembre 2020: “des violences sexuelles à l’encontre des femmes, des disparitions forcées, d’ exécutions extrajudiciaires et de nombreux et de nombreux cas de tortures commises par toutes les parties au conflit”. Bien avant la publication de ce rapport, la Cour pénale internationale avait émis un mandat d’arrêt contre le président Omar el-Béchir, alors en fonction au Soudan et premier accusé de crime de génocide. Son transfert à la CPI peine à être effectif, malgré la décision du Conseil des ministres du Soudan le 11 août 2021. Le 05 avril 2022 s’est ouvert à la CPI le procès de Ali Abd-Al-Rahman, marquant ainsi le premier procès du Darfour à la CPI.
Depuis le coup d’État du 25 octobre 2021 on assiste à une multiplication des combats. Dès le 31 décembre 2020, la coalition Nation Unie-Union Africaine au Darfour a été délocalisée laissant un vide sécuritaire dans la région du Darfour. Au premier semestre 2022, on note des centaines de morts et de plus en plus de déplacés.
La situation humanitaire au Darfour
Les indices d’évaluation d’une situation humanitaire sont cumulatifs. En plus de la disponibilité et des accès aux denrées alimentaires, les critères de l’accès aux soins, à l’hygiène et le niveau d’exposition aux risques c’est-à-dire la situation sécuritaire sont considérables. Au demeurant, la situation économique et sécuritaire, déterminent la situation humanitaire, et surtout ne se limitent pas. D’autres réalités particulières à chaque région peuvent contribuer également à poser un examen d’une crise humanitaire.
La situation a toujours été alarmante dès le début des hostilités au Darfour. Entre janvier et avril 2022, on note plus de cinquante cinq mille (55 000) déplacés et autant de morts. On assiste finalement à une relative effectivité des accords de paix de Juba.
Plusieurs pays africains dépendent de la Russie et de l’Ukraine en besoin alimentaire. Le Soudan est dépendant de la Russie en huile de tournesol en plus de plusieurs autres produits alimentaires de base. Depuis le début des offensives russes en Ukraine, l’acheminement des produits au Darfour se complique. La menace de famine est d’autant plus inquiétante. Les Nations Unies estiment à plus de huit millions de personnes nécessitant une aide humanitaire.
De plus, la crise au Darfour semble “oubliée’’ parmi plusieurs autres dans le monde. D’abord d’un point médiatique, la guerre en Ukraine semble prendre l’ascendant sur toutes crises. Ensuite du point de vue de la disponibilité de l’aide humanitaire. En effet, le plan de réponse humanitaire prévu par les Nations unies au Soudan ne répond en 2022 qu’à vingt-six pourcents (26%) du financement au Soudan du Sud, sans considérer les autres régions du pays en crise comme le Kordofan.
Sources:
Entretien Nashira et Thibaud, responsable du Carnet de Bord – HUMANITAIRE