McKinsey, Nucléaire, Tabac… Le sujet méconnu du lobbying en France

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Vous entendez parler de McKinsey ces derniers temps, mais également du lobby du nucléaire, du tabac ou autres, et vous ne savez pas ce qu’est le lobbying ? Nashira News a enquêté pour vous. Vous trouverez dans cet article les réponses à vos questions concernant le sujet mais aussi l’interview de Manon Aubry, députée européenne la France Insoumise et co-présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, spécialiste du sujet.

  • Qu’est-ce que le « lobbying »?

Le lobbying, mot venant de l’anglais, est une action consistant à influencer une tierce personne dans le but de défendre des intérêts. La définition originelle se rapproche de celle de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) qui désigne le lobbying comme « une activité qui consiste à prendre l’initiative d’entrer en contact avec des personnes chargées d’élaborer et de voter les lois ou de conduire l’action de l’État (dans les ministères, au Parlement, mais aussi dans les administrations) pour influencer leurs décisions ».

Le lobbying peut prendre différentes formes : ainsi, il peut passer par la constitution de réseaux, des apports d’expertise, de l’espionnage, de l’infiltration ou encore des cadeaux et pots de vin.

On dénombre 2403 représentants d’intérêts inscrits sur le répertoire de la HATVP en 2021, et plus de 12 000 entités sont inscrites sur le registre de transparence de l’Union européenne.

Les lobbies travaillent en général au contact plus ou moins direct des médias, des pouvoirs politiques et du monde de la recherche. Ils peuvent prendre la forme d’associations, de représentants d’entreprises, de syndicats ou encore de cabinets d’avocats et d’affaires publiques.

Contrairement aux partis politiques, qui cherchent à faire valoir leurs idées par le biais d’élections, les lobbies protègent leurs intérêts grâce à leur influence, leur importance et leur médiatisation. Ils passent donc souvent « inaperçus » et, plus ils gagnent en puissance, plus ils sont susceptibles d’influencer le choix d’une politique publique, d’une orientation budgétaire etc… En effet, le lobbying touche à tous les sujets, de l’économie à l’environnement, en passant par l’industrie, les nouvelles technologies, la politique et bien d’autres.

42% des responsables publics sollicités par les lobbies sont des parlementaires ou collaborateurs parlementaires, et près d’un tiers sont des membres du gouvernement. Et les cabinets ministériels les plus sollicités par des lobbies sont ceux de l’économie et de la finance, le Premier ministre et les ministères liés à l’environnement, l’énergie et la mer.

  • Quels sont les apports du lobbying ?

L’acceptation des lobbies s’est faite petit à petit en France. C’est ainsi qu’un rapport parlementaire de 2008 indique que le développement des lobbies serait positif pour l’apport dans le débat législatif de nouvelles idées et expériences. En effet, les lobbyistes apportent des expertises, des connaissances et des conseils précieux.

Il faut cependant distinguer le lobbying du trafic d’influence, voire de la corruption. Le travail du lobbyiste est un travail d’information ; leur but est d’éclairer les parlementaires et décideurs sur des sujets pointus. Ainsi, à l’origine, le lobbying n’est pas censé exercer une pression sur les appareils étatiques, mais simplement apporter des éléments nouveaux et techniques sur divers sujets.

L’on peut prendre l’exemple de l’association UFC-Que Choisir : voulant lutter contre l’obésité chez les jeunes, elle a fourni des documents aux parlementaires sur les risques sanitaires de l’obésité chez les jeunes. Cet apport a entraîné l’interdiction des distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants dans les écoles, collèges et lycées, dans la loi de santé publique de 2004.

  • Quels sont les risques des groupes d’intérêts ?

On constate que, du point de vue français, la manifestation des intérêts particuliers nuit à l’intérêt général. Rousseau a exprimé cette vision, où l’intérêt général de tous les citoyens ne correspond pas à l’addition de la volonté de chaque citoyen. Ainsi, selon cette vision, les groupes représentant des intérêts particuliers (donc les lobbies) sont nuisibles à l’intérêt général de tous les citoyens.

L’on peut prendre l’exemple de l’ACEA (association européenne des constructeurs automobiles), qui a obtenu un score de 32 sur 100 à la note d’Influence Map sur le soutien de différents lobbies aux politiques favorables au climat. Influence Map a passé en revue les pratiques de lobbying de certains groupements industriels, et tout score en dessous de 50 prouve une opposition à ces politiques.

  • Quelles sont les régulations de cette pratique ?

En France :

Depuis 2009, les 2 chambres parlementaires ont créé un registre public des représentants d’intérêts.

Depuis 2013, les députés doivent mentionner la liste des organisations auditionnées à la fin des rapports parlementaires.

De plus, la loi Sapin II de 2016 a obligé les représentants d’intérêts à s’inscrire sur un répertoire, tenu par la HATVP, a défini de manière plus claire le lobbying et a créé un code déontologique.

Un décret de 2017 précise que le représentant d’intérêt, en s’inscrivant au répertoire de la HATVP, doit déclarer son identité ou celle de son employeur, ses champs d’activité, ses actions et les dépenses reliées à celles-ci, le nombre de personnes qu’il emploie et toutes les organisations ayant des liens avec son travail.

En Europe :

      Dès 2011, l’Union européenne a institué un registre de transparence, qui répertorie et renseigne les organisations cherchant à influencer les politiques européennes.

Suite à la rédaction de cet article, Nashira News a contacté Manon Aubry, députée européenne de la délégation France Insoumise, spécialiste dans le domaine des lobbies. Elle a souvent pris la parole pour dénoncer les méthodes des groupes de pression.

La députée européenne de la France Insoumise Manon Aubry

“La définition officielle du lobbying met dans le même sac ceux qui protègent leurs profits et ceux qui veulent protéger l’intérêt général, c’est ce qui pose un réel problème.”

Quelle est votre définition du lobbying au point de vue européen ? Quelle est votre perspective sur ce sujet ?  

Manon Aubry :  « la définition officielle du lobbying met dans le même sac ceux qui protègent leurs profits et ceux qui veulent protéger l’intérêt général, c’est ce qui pose un réel problème. Pour moi, le lobbying recouvre toutes les activités qui visent à influencer en faveur d’intérêts privés la prise de décision par des institutions publiques. Il faut donc distinguer ces entreprises et leurs cabinets de lobbying, qui engagent des moyens colossaux pour protéger leurs profits, des associations et syndicats qui défendent les droits des citoyens, des travailleurs et de l’environnement et n’ont pas d’intérêt direct et particulier à leur action d’influence. » Manon Aubry cite l’exemple de Monsanto qui cherche à obtenir que la législation soit assouplie sur les OGM. D’autres secteurs sont aussi touchés, tels que l’industrie ou le tabac, les énergies fossiles, le nucléaire, etc.

Quels sont les cas de lobbying auxquels vous faites face au Parlement Européen ? 

Les cas de lobbying auxquels Manon Aubry est confrontée sont très nombreux, au point qu’elle a décidé de répertorier sur Twitter tous les scandales éthiques de lobbying dont elle a eu connaissance : elle en a dénombré près de 120. Elle nous a ainsi indiqué qu’elle avait été placée sur la liste noire de certains lobbies, mais qu’à l’inverse, ces derniers n’ont aucun mal à faire appel à leurs « alliés de droite du Parlement Européen ».

Les pratiques habituelles des lobbies sont en général assez classiques, mais peuvent parfois s’avérer scandaleuses. Leur répertoire comprend évidemment la prise de rendez-vous et l’organisation de conférences, mais aussi l’envoi de listes d’amendements pré-rédigés voire d’instructions de vote et des « argumentaires trompeurs où ils manipulent la science ». Néanmoins, selon Manon Aubry, les lobbyistes emploient de nouvelles méthodes afin de passer inaperçus : ils utilisent ainsi des fondations ou des think tanks qui paraissent indépendants, alors qu’ils sont financés par des entreprises dont ils défendent les intérêts.

L’on pourrait citer BlackRock, le premier détenteur d’actifs fossiles au monde, qui « conseille la Commission européenne » sur le verdissement de la finance, le Medef, qui « a rédigé la note de positionnement de la France dans les négociations d’un texte européen contre l’évasion fiscale en Europe », ou encore Eurogaz (représentant de l’industrie gazière), qui a « proposé des rendez-vous aux députés contre des donations de 50 euros à l’UNICEF ».

Selon Manon Aubry, ce sont des pratiques courantes au sein des institutions européennes, l’une des premières places pour les lobbyistes dans le monde, notamment avec une pratique que l’on retrouve au plus haut niveau des institutions puisque la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a été plusieurs fois prise sur le fait.

On évalue en effet à 37 000 le nombre de lobbyistes autour des institutions européennes, soit environ 52 lobbyistes par député européen. Plusieurs milliards d’euros sont dépensés chaque année pour mettre en œuvre ces stratégies d’influence.

Pensez-vous que la pratique du lobbying est utile ? 

Manon Aubry reconnaît à chacun le droit de défendre ses intérêts auprès des institutions publiques mais souligne un impérieux « besoin de transparence et d’équilibre ». Les lobbies ne doivent évidemment pas être à l’origine d’une décision politique, leur rôle étant seulement consultatif et non décisionnaire. Ainsi, selon la députée, dès lors que les lobbies sortent de leur fonction première de simples interlocuteurs, ils deviennent « un véritable fléau pour la démocratie ».

Or, la puissance des lobbies des entreprises est telle qu’elle parasite aujourd’hui, selon elle, la prise de décisions dans les institutions européennes. Grâce à leurs ressources financières et à leurs réseaux d’influence, les lobbies y occupent une place accrue. Au point de faire primer certains intérêts privés sur l’intérêt général et de concurrencer les associations, les syndicats et autres interlocuteurs légitimes.

Certaines propositions ont ainsi été mises en avant par Mme Aubry pour limiter leur influence, en cantonnant par exemple leur participation au débat public au cadre des consultations publiques organisées par la Commission européenne et aux auditions publiques organisées par les institutions. La députée souligne avant tout la nécessité pour les lobbys de « rendre des comptes sur leurs pratiques ».

Que pensez-vous du rapport entre les français et le lobbying ? 

L’eurodéputée pense que les français sont assez conscients et choqués des dérives du lobbying et de l’influence des acteurs privés sur le pouvoir public, comme le montre la récente « Affaire McKinsey ». Elle a insisté sur la culture des institutions, de l’éthique et de la transparence désastreuse que le Président a cultivée au cours de son quinquennat, en poussant « plus loin que jamais » la connivence avec les lobbies. 

Le lobbying joue-t-il un rôle dans la présidentielle 2022 ?

Manon Aubry nous a indiqué que le lobbying joue un énorme rôle sur la Présidentielle de 2022, notamment sur la campagne du président-candidat Emmanuel Macron. En effet, celle-ci serait construite avec les lobbies comme en 2017. « Le lobby patronal a ainsi réussi à placer la réforme des retraites et le conditionnement du versement du RSA dans le programme du candidat sortant et le lobby du nucléaire a obtenu la promesse de construire de nouveaux réacteurs. Les lobbies feraient également pression pour recevoir des faveurs réglementaires et législatives. »

Quant à la France insoumise, pour l’eurodéputée, « elle se différencie de tous grâce à son travail d’indépendance, et son travail en collaboration avec les syndicats de représentants et d’associations ». La députée a rappelé la proposition du programme de la France insoumise d’établir une barrière claire entre les lobbies d’un côté et les pouvoirs de l’État de l’autre.

Le registre de transparence est-il vraiment utile ? 

Le registre de transparence est très limité selon la députée européenne, il ne fournit que « trop peu » d’informations. Les moyens déployés le concernant sont bien trop faibles, avec seulement 12 équivalents temps plein pour 12 000 entités enregistrées au registre. Par ailleurs, “les fonctionnaires de la Commission européenne rencontrent des lobbyistes qui ne sont pas enregistrés dans le registre de la transparence”, en violation flagrante des règles les concernant.

NDLR : Nous avons contacté d’autres compositions politiques pour obtenir des avis supplémentaires sur le sujet, sans recevoir de réponse de leur part.

Sources :

https://www.vie-publique.fr/eclairage/271135-groupes-dinterets-lobbying-vers-un-controle-accru

https://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i0613.asp

https://www.associatheque.fr/fr/association-et-communication/lobbying.html

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/23/petit-guide-de-lobbyisme-dans-les-arenes-de-l-union-europeenne_5466056_4355770.html

https://www.hatvp.fr/lobbying/#:~:text=Le%20%C2%AB%20lobbying%20%C2%BB%20ou%20la%20%C2%AB,les%20administrations

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