Série : “Enquête sur une Odysee politique libertarienne” – Épisode 1

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Un nazi qui fait des vidéos sur la supériorité de la race blanche” ne constitue pas en soi un motif de retrait. C’est ce qu’a écrit en avril 2021 un haut dirigeant d’Odysee aux modérateurs, selon la fuite d’un mail obtenu par The Guardian. On est prévenu, sur Odysee peu de contenu est susceptible de se faire supprimer. Plateforme de partage de vidéos, haine et complotisme, blockchain et libertarisme, voilà ce que réussit à réunir Odysee.

LBRY, le ciment technologique d’Odysee

Créé par Jeremy Kauffman en 2020, Odysee repose sur LBRY, un réseau de partage de fichiers et de paiement basé sur une blockchain et sur le transfert de données pair-à-pair (P2P). Pour comprendre le fonctionnement d’Odysee et ce que cela induit, il faut se pencher sur le fonctionnement de ces technologies.

Selon la définition du ministère français de l’Economie : “La blockchain est, en premier lieu, une technologie de stockage et de transmission d’informations. Cette technologie offre de hauts standards de transparence et de sécurité, car elle fonctionne sans organe central de contrôle. Plus concrètement, la blockchain permet à ses utilisateurs – connectés en réseau – de partager des données sans intermédiaire.” De plus, une blockchain rend extrêmement compliquée, si ce n’est impossible, la suppression des transactions, aussi bien des transactions en crypto-monnaies (pour le paiement des créateurs de contenu) que du contenu mis en ligne.

La seconde technologie est le transfert de données pair-à-pair (généralement appelé peer-to-peer ou P2P), qui est un modèle d’échange en réseaux où les utilisateurs sont autant clients que serveurs. Pour faire simple, la personne qui possède un fichier (vidéo, photo, musique…) est aussi bien détentrice que pourvoyeuse des données de ce dernier.

On a donc une plateforme de vidéos fonctionnant sur un principe communautaire (le peer-to-peer), où la suppression de contenu est quasiment impossible (la blockchain) et avec une ligne éditoriale qui ne semble pas encline à modérer quoi que ce soit. Bien que les créateurs mettent en avant quelques arguments valables, comme la décentralisation ou l’indépendance vis-à-vis des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), c’est avant tout une vision de la liberté et par extension de la liberté d’expression qui se joue ici. Parce que très rapidement, Odysee (et le site spee.ch entre 2017 et 2020, l’ancêtre d’Odysee également basé sur le protocole LBRY) s’est révélé être un lieu privilégié pour les extrémistes les plus virulents et connaît une croissance permanente.

Évolution de la publication de contenu depuis la création de spee.ch. Les pointillés roses représentent le lancement d’Odysee en septembre 2020.

Liberté d’expression avant tout

C’est Odysee qui a accueilli le faux documentaire “Hold Up” après sa suppression sur YouTube et c’est encore Odysee qui a accueilli le compte de Donald Trump après l’assaut du Capitole. Quand on s’intéresse aux contenus les plus suivis sur la plateforme, on retrouve en grande majorité du contenu conspirationniste anti-vaccins, mais aussi le live de la chaîne RT News – chaîne TV d’État Russe supprimée sur les principaux réseaux sociaux dans plus de 25 pays suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Néanmoins, sur Odysee, on retrouve une multitude de contenus extrêmement variés, du cours de cuisine aux jeux-vidéos en passant par les conseils d’horticulture.

Pourtant, une petite expérience rapide nous permet de nous rendre compte de la différence entre Youtube et Odysee. En tapant Hitler dans la barre de recherche, les résultats sautent aux yeux. Sur Youtube, on tombe principalement sur des documentaires et des vidéos à valeur informationnelle. Sur Odysee, le premier résultat est une vidéo à la musique larmoyante à la gloire de Hitler, publiée par une chaîne dont le nom contient “Révisionnisme Historique Seconde Guerre Mondiale”, difficile de laisser planer le doute quant à ses opinions. Le compte du troisième résultat a pour photo le Reichsadler, l’aigle survolant la croix gammée, et en photo de bannière de compte le drapeau nazi…

La troisième vidéo qui sort sur Odysee lorsque l’on tape Hitler dans la barre de recherche est publiée par ce compte.

Une vision politique et idéologique de la liberté d’expression

Tout cela est difficile à envisager lorsqu’on est un utilisateur des principaux réseaux sociaux (bien que la modération reste un problème largement survolé par ces derniers). C’est bien sa vision politique que Jeremy Kauffman défend avec Odysee, car derrière la création de la blockchain LBRY et du site de partage de vidéos Odysee, se cache un engagement politique libertarien assumé. Il fait partie du mouvement politique “Free State Project” et est en couple avec sa directrice exécutive.

Dans le prochain article, nous allons plonger au cœur de cette organisation politique libertarienne vieille de plus de 20 ans et ainsi comprendre plus en détail ce qu’est la vision idéologique que défend Odysee.

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