Il fait partie des éléments qui donnent son aura à ce tournoi si particulier, si raffiné. Il a tout autant sa place dans cette liste que les joueurs, les vedettes ou Nelson Monfort. « Il », c’est le court. L’ocre vif de la terre battue. Le blanc des lignes immaculées, qui se souilleront en accueillant volontiers les glissades des prétendants au trophée. Mais aussi le vert foncé des panneaux publicitaires épurés, des chaises des joueurs, du perchoir de l’arbitre. Le porteur de cette tradition, c’est Philippe Vaillant. Il travaille sur le site depuis 1995. Son parcours ? « Oh j’étais dispatcheur pour une société de transports. J’avais un ami qui travaillait à Roland, une place se libérait, il me l’a proposée ». Ce métier là, il ne s’apprend pas sur les bancs de l’école, mais sur le terrain. Au sens propre comme au figuré. Aujourd’hui, et depuis 2018, il est le manager du service de préparation des courts. Au plus fort de la tempête, il a 200 personnes sous ses ordres, qui scrutent chaque détail.
Des matériaux ordinaires pour une terre de légende
D’emblée, Philippe casse le mythe. La terre en elle-même n’a rien d’exceptionnel ni de sacré : les matériaux avec laquelle elle est confectionnée sont disponibles pour n’importe quel autre tournoi. Ce qui fait la différence, c’est une équipe de passionnés, d’amoureux même, de cette surface. Qu’est-ce que la terre battue ? Principalement du calcaire broyé, qui constitue la chappe de jeu, puis une coloration en surface avec de la brique pilée. C’est elle qui donne cette couleur ocre si caractéristique et permet d’obtenir un contraste visuel qui n’existerait pas avec le simple calcaire. En plus de l’aspect esthétique, la brique pilée est idéale car elle conserve bien l’humidité et permet aux joueurs de glisser tout en conservant leurs appuis. Quand on lui rappelle que Madrid avait innové en 2012 en proposant une terre battue bleue, notre interlocuteur ne crie pas au sacrilège mais critique techniquement et posément l’expérimentation : « Le matériau utilisé avait un grain plus gros, sûrement pour des raisons techniques afin de trouver cette couleur, et les appuis n’étaient pas sûrs. Alors les joueurs ont vite râlé ». On se souvient que notamment Nadal et Djokovic avaient annoncé qu’ils ne reviendraient plus si ce choix était reconduit. Cette terre bleue a finalement été interdite par l’ATP quelques mois plus tard.
Des courts mis à rude épreuve pendant le tournoi
Dans l’enceinte de Roland-Garros, tous les courts font exactement l’objet du même soin, « qu’il s’agisse du Chatrier ou du court N°16 au fond qui est exclusivement réservé à l’entraînement », pour avoir une homogénéité des conditions de jeu. Mais il s’agit d’une matière vivante : les conditions peuvent varier selon l’heure de la journée et l’ensoleillement. Plus le cours est ensoleillé, plus il s’assèche, même s’il est arrosé régulièrement, et la balle est de plus en plus rapide en avançant dans la journée. De plus, les préparateurs n’ont pas la possibilité d’intervenir à l’intérieur d’un set. Plus une manche dure, plus les conditions vont être différentes entre le début et la fin de celle-ci. De plus, à force de glissades, les grains de calcaire, qui sont plus épais, remontent à la surface, ce qui est visuellement inesthétique et rend le court plus glissant pour les joueurs. Tous les matins, l’intégralité des terrains sont donc balayés et une couche de brique est ajoutée.
En cas de pluie, c’est le branlebas de combat, tout le monde est dans les starting blocks. Heureusement, les préparateurs reçoivent l’aide de la technologie, et Philippe Vaillant constate des améliorations tous les ans : « aujourd’hui, on est aidés d’un service météorologique de pointe, on sait à la minute près quand la pluie va arriver et précisément l’intensité de celle-ci ». Cette précision permet à l’équipe d’établir des barèmes précis pour déterminer s’il faut arrêter le jeu, voire bâcher. Le QG prend la décision en collaboration avec les responsables des courts et le juge arbitre. La décision est ensuite transmise à l’arbitre de chaise via un code, et ce dernier est maître du timing, potentiellement après négociation avec les joueurs. Mais la grande majorité du temps, il applique la décision dès que le jeu le permet. En effet, la praticabilité du court est en jeu. S’il est bâché trop tard, en cas de grosse averse, le jeu ne pourra pas reprendre avant plusieurs heures, le temps que la pluie s’infiltre complètement. « Le calcaire, dès qu’il prend l’eau, cela devient une bouillie. Si on marchait dessus, on détruirait complètement la surface de jeu en créant des désordres ». Heureusement, les courts sont élaborés de manière à évacuer rapidement un excès d’eau, le plancher étant composé d’un lit de cailloux qui aide au drainage. A l’inverse, le calcaire trop sec se fissure et devient dur comme du béton. Ainsi, une couche de mâchefer est disposée entre les cailloux et le calcaire pour jouer le rôle d’éponge. Elle retient l’eau, que le calcaire va absorber par capillarité pour conserver un taux d’humidité satisfaisant.
Un équipe rodée pour répondre à des exigences maximales
Pour le tournoi, les courts commencent à être préparés pour le tournoi à partir de fin mars. Cela inclut le soin de la terre, mais également l’installation du mobilier. Les courts ont été laissés en hivernage depuis les premières gelées du mois de novembre. Pendant cette période, « plus il y a de pluie, de gel, voire de neige, plus on est contents ! Ca permet au matériau de vivre, le calcaire se décompacte naturellement ». C’est également le moment d’assumer des tâches plus ingrates mais indispensables : inventaire du matériel, maintenance des filets, des bâches, peinture des poteaux…
Car en effet, le niveau d’exigence est ultime. L’équipe n’a pas le droit à l’erreur, jusque dans les moindres détails. La qualité des courts, évidemment, mais aussi les à côtés : des chaises des joueurs aux panneaux publicitaires, que les annonceurs souhaitent bien visibles. Tous cela demande de une préparation impeccable en amont, et une concentration maximale pendant le tournoi : « Le diable se cache dans les détails », nous confie Philippe Vaillant. Les choses sont régulièrement déplacées, par inadvertance, que ce soit par les joueurs, les coachs ou les spectateurs, et il faut veiller à ce que tout soit toujours remis à sa place. Pour arriver à ce résultat, ce sont 200 paires d’yeux qui scrutent chaque recoin, et qui doivent être logées, nourries et habillées, ce qui ajoute de l’intendance. Etudiants, saisonniers, salariés qui posent leurs congés pour être de la fête, les profils sont très variés… « Certains viennent depuis 30 ans ! Pour d’autres, quand on leur demande le score, ils nous répondent 762 à 545 (rires). On m’a même déjà demandé à quelle heure s’arrêtaient les joueurs pour aller déjeuner ». Pour palier cela, chaque court ou groupe de courts est supervisé par quelqu’un qui travaille à Roland à l’année, et qui a l’expérience du tournoi et du stade. « Parce qu’il faut savoir s’y déplacer aussi. Quand il y a 30 000 spectateurs dans le stade, il faut connaître les passages qui vont nous faire gagner du temps et ne pas rester scotchés dans la foule ». Toutefois, même si ce travail induit une forte pression et exige une certaine prestance, tant que cela reste dans la limite du raisonnable et de la bonne humeur, les facéties sont tolérées : « il n’y a pas de consignes particulières, c’est au feeling, on sent quand le public est bien chaud et qu’il a besoin d’un petit coup d’arrosage ».
Le stade reste actif en dehors du tournoi
Les Internationaux de France se terminant mi-juin, que se passe-t-il le reste de l’année ? Depuis l’installation du toit, le Central peut servir pour des événements comme des concerts ou d’autres sports, comme de la boxe ou du basket. « Dans ce cas, on installe un plancher au dessus du court, sur lequel viennent toutes les structures nécessaires pour l’événement« . Sur les autres courts, une fois le Grand Chelem parisien terminé, viennent les phases finales du championnat de France individuel jusqu’en août, par sessions de 3 semaines. Tous les joueurs professionnels peuvent aussi venir s’entraîner à volonté sur ces terrains. « Vu qu’il n’y a pas de club résident, il n’y a pas d’adhérents. Nous sommes uniquement ouverts aux joueurs professionnels et aux joueurs qui ont fait partie des équipes nationales. »
Quand on parle avec Philippe Vaillant, qui est là depuis si longtemps qu’il a quasiment fusionné avec ce tournoi légendaire, on ne voit plus le temps passer. Quand dans un éclair de lucidité, on remarque qu’on a largement dépassé le temps prévu, il conclut par une phrase qui résume tout à elle seule, qui témoigne de l’amour inconditionnel d’un homme pour son métier : « Oh ce n’est pas grave, j’adore parler de la terre, de ma terre ».